Hier, j'ai eu ma première leçon de "sucr'à crème". Si, si, les incrédules! Moi, ici présente, a patiemment écouté les directives de ma voisine Lucienne alors qu'elle me faisait une démonstration live. Elle doit s'y connaître, Lucienne, car c'est la recette de sa mère qu'elle m'a montrée. Et comme Lucienne est partie de chez sa maman depuis longtemps (elle a 86 ans, ma Lucienne), et qu'elle a fait cette recette à des centaines de reprises, je me dis qu'elle doit commencer à s'y connaître un peu dans le domaine du sucr'à crème...
Ce qui a d'abord éveillé mon intérêt, ce sont les mots : "facile" et "2 ingrédients". Wouh!
DEU-ZIN-GRÉ-DI-ENTS!
Voilà une recette à ma mesure! Ouais!
Je sais... vous avez peut-être en mémoire
ma tentative de carré à l'avoine pensant impressionner Meuman... impressionnée elle fut, mais pas de la façon dont je prévoyais...
Tourque, c'est gonflée d'intrépidité que je me suis pointée chez Lucienne avec de la crème 35 % et une poche de cassonade. Elle a alors sorti son chaudron pour sucr'à crème, sa grosse cuillère de bois pour sucr'à crème, son moule pour sucr'à crème, sa petite assiette verte et sa cuillère pour tester d'un geste énergique et rapide de ses mains noueuses la texture de la mixture de sucre et de crème. Wow! Des instruments qui ont servi durant des décennies de confection de sucr'à crème! Toujours les mêmes. J'étais déjà impressionnée.
Sans faire ni une ni deux, elle a mesuré loussement 3 tasses de cassonade dans son chaudron et y a ajouté le 500 ml de crème. Et paf! Douze minutes, qu'elle m'a dit. Elle a réglé son rond à haute intensité, et c'est parti! Elle s'est mise à brasser le tout. La cassonade fond dans la crème, et la mixture se met à bouillir. Lucienne laisse le tout bouillir à grand feu durant deux ou trois minutes. Puis elle baisse un peu son rond, mais de façon à ce que ça continue à bouillir en faisant des ballounes (non, nous ne nous sommes pas mises à souffler des ballons, c'est la mixture, qui doit faire des ballounes).
Là je sens Lucienne qui commence à trépider. Elle surveille son cadran et prend sa petite assiette verte. De sa grosse cuillère de bois elle laisse tomber un peu de crème sucrée dans le fond de l'assiette et se met à brasser le tout avec sa petite cuillère. "Non, c'est pas encore prêt" qu'elle dit tout en vidant le contenu de l'assiette dans son chaudron.
Ici je fait un aparté pour exprimer mon admiration envers cette personne qui à peine à marcher sans sa canne, qui a les mains tordues par l'arthrite, qui doit souffrir de mille et un autres bobos sans en souffler mot à personne, et qui, toute à sa tâche de transmission de savoir ancestral, refait ces gestes avec l'efficacité d'une jeune Lucienne de trente ans! Ça m'émeut.
Bon ok, ne pas perdre le fil... c'est sérieux! Donc, ça bout. Elle remet encore un peu de mixture dans sa petite assiette verte, brasse le tout, soulève sa cuillère, regarde tomber la mixture, tape la mixture du dos de la cuillère, et dit "non, pas encore..." et repitche ça dans le chaudron. Et je suis là, à attendre sur le bord du poêle, que la magie opère dans la petite assiette verte. Après encore quelques tentatives dans la petite assiette, et que je te tourne la chose, que je te la tapote, et qu'elle me passe l'assiette pour que je puisse ressentir la texture de la mixture, soudainement, ça y est! La mixture s'agglomère en boule et on la sent un peu plus granuleuse. Woh! On ferme le rond, on laisse reposer un peu le chaudron tout en brassant de temps à autre, histoire que le tout ne fige pas drette dans le chaudron. Et là Lucienne, de ses petites mains en pattes d'oiseau, a émietté des pécanes dans la mixture et a versé le tout dans son moule préalablement beurré. Et voilà le travail!
J'ai couru au chalet pour me sortir un chaudron, une grosse cuillère, un moule, une petite assiette (merde, j'en ai pas une verte!), ma cassonade et ma crème. Dans ma course, j'ai croisé une autre voisine qui m'a dit qu'elle a essayé à plusieurs reprises de le faire, le sucr'à crème de Lucienne, et qu'elle a échoué. Elle m'a dit que ça prend un thermomètre, sans ça, on le rate. Encourageant... Mais bon... une fois dans ma cuisine, j'ai tout répété les gestes de Lucienne. Avec beaucoup moins d'assurance, certes, et la peur d'échouer au ventre. L'Homme m'a même dit de me détendre, car à être stressée de la sorte, il va être dur comme de la roche, mon sucr'à crème! C'est que je ne voudrais tellement pas décevoir mon gourou! Faut croire que je me suis pas mal détendue parce que après 30 minutes de brassage, la mixture ne formait toujours pas de boule dans ma petite assiette. J'ai continué de plus en plus inquiète, mais détendue (vous essayerez ça, de vous inquiéter de façon relaxe!) au bout de 45 minutes, ça a commencé à granuler un peu. Wouppi! J'ai versé ça dans mon moule, toute fière, en me pétant les bretelles d'avoir confectionner un dessert pour le souper. Ouais bon...
Le lendemain matin, c'était encore mou. Si je penchais le moule, la mixture suivait. Pas bon signe.
"Pis, le sucr'à crème?" me demanda une voix sortie de je ne sais où. J'avais beau regarder par la porte, y'avait personne. Je vis soudain la tête de Lucienne par une fenêtre. Non mais! Le coeur a failli me sortir par le nez! Elle a beau clopiner, la Lucienne, mais elle sait encore se déplacer! C'est avec un peu de gêne que je lui présentai mon moule. Elle y planta son doigt expérimenté et dit "remet ça dans le chaudron, ajoute une demi-tasse de cassonade, fait bouillir deux minutes, pis ça va être correct". Écoutant mon maître, j'ai exécuté ses directives, et... j'ai réussi! Ouais! Moi! Wouhou!! Vive Lucienne! Si ce n'était du danger de lui casser les os, je la soulèverais de terre pour la faire tourner dans mes bras!
Et voilà, mine de rien, vous savez tous comment faire du sucr'à crème à la façon de la maman de Lucienne! Comme elle n'a pas d'enfants, Lucienne, cette recette lui survivra quand même.